récit d'un atelier comme un autre

Tous réunis, après un petit temps d’échange, nous partons sur le sentier, direction la rivière. Avec ceux qui m’entourent nous parlons de ce qui nous traverse l’esprit, et naturellement des insectes que tous essaient d’attraper : le cantharide commun, le cercope : au fait, celui-ci, sanguinolent ou sanguin ? Et nous arrivons ainsi en bas du talus, au bord de la Malsanne. La rivière a encore gonflé depuis la dernière fois, l’eau légèrement turbide. Petite conversation (c’est maintenant ou jamais, plus tard les enfants seront pris dans leur jeu, et au retour je sais que nous marcherons à toute vitesse pour ne pas être trop en retard ) sur le régime du cours d’eau, sur le bassin versant, les affluents jusqu’à l’embouchure… L’esprit a vagabondé de la Malsanne à la Bonne, au Drac, à l’Isère, au Rhône et à la Méditerranée. « Il doit être grand le bassin versant de la Méditerranée ! ». Comme professeur, je suis content, j’ai glissé quelques connaissances de circonstances et la pensée s’est ouverte au-delà de ce que j’imaginais. Maintenant, nous quittons le grand chemin pour rejoindre notre plage secrète en coupant à travers le sous-bois. Ethan, en tête, crie. Il a vu une bête, peut-être un chamois ou un chevreuil. Nous gagnons le bord de l’eau. Effectivement, les traces dans la vase sont toutes fraîches. J’aurais été bien curieux de voir la bête traverser la rivière avec ce débit-là. Trop tard. Nous regardons mieux le sol. Le chevreuil n’est pas le seul à être venu ici ce matin. Un sanglier, et d’autres encore... Certains enfants me paraissent bien plus agiles que moi dans l’identification : quelle est la part de savoir et d’imagination ? Parmi eux un ou deux connaissent certainement leur affaire. Je suis prêt à le parier.

De mon côté, comme pédagogue, je ne m’en sors pas trop mal non plus. J’ai justement fait porter par Antonin (une partie du chemin) le matériel pour prendre des empreintes. Je crois que c’est un rituel de bienvenue qui est en train de s’inventer. Il y a un enfant notamment, qui est entré dans le groupe il y a quelques mois en voulant spécialement commencer par cette activité, et depuis il en parle à chaque nouveau venu, en allumant quelque chose dans le regard. Trouver sa trace, élire son animal : sera-t-il un loir, un blaireau, une biche, un sanglier, un loup ? On voit aussi facilement les grandes traces de héron, mais chanceux celui qui les trouvent en dehors de l’eau et pourra les mouler. Un jeu de totem tout cela ?

 

Même Line, toujours calme se montre volontaire. Nous préparons notre plâtre. Antonin sait qu’il y a une vieille carrière de gypse pas loin d’ici, qu’il est rouge, et que l’on peut observer encore le plâtre qui en dérive dans les vieilles maison. Un jour, je crois que nous irons là-bas et que nous ferons nous aussi, artisanalement, notre petite production. Voilà qui sera une totale empreinte du Valbonnais !

Tout est posé. Il n’y a plus qu’à attendre que cela sèche. En attendant, spontanément les enfants enlèvent leurs chaussures. Ils courent sur le sable, le gravier, l’argile fine, plus ou moins humide. Ils vont jouer avec elle pendant l’heure qui suit : fabrique de boue (qualité fine, épaisse etc. en fonction des sites), boule pour viser sur des cibles montées la dernière fois à la va-vite, améliorée cette fois-ci par des sculptures, des dessins et des incrustations, qui composent des visages : et paf dans le pif ! Le téléphérique qui va du site de production au site de consommation (la cabane) se perfectionne et devient doucement opérationnel. Là-bas, un groupe a construit un parcours pour l’eau, avec tunnel, en jouant sur l’imperméabilité de l’argile. Là c’est une patinoire de boue où tous, les uns à la suite des autres, les uns sous le regard des autres, viennent vérifier que cela glisse traîtreusement. Un enfant m’apporte le bol qu’il a construit. Je n’en reviens pas. Il a inventé cette technique vieille comme le monde, à partir de ces boules qu’il aime tant faire depuis plusieurs séances : les pouces au milieu, on écarte, et voilà le récipient creusé. Boule-bol. Le paléolithique est né encore en cet après-midi de mai. Mais on peut remonter plus loin dans le temps. Un enfant a trouvé un fossile : on en voit peu par ici, c’est une jolie prise, et une autre pierre avec une sorte d’énorme incrustation de fer ? Qu’est-ce que ça peut-être ? J’opterai pour une météorite prise dans une roche sédimentaire. Ça fait beaucoup, et je préfère me taire plutôt que de raconter n’importe quoi. Ou alors : et si tu avais trouvé une pépite d’or, mon gars ? Ah, ouais !

Et puis c’est l’heure du départ. Allez, on va tous se laver à la rivière. Et voilà une bande de marmaille tous rangés les uns à côté des autres dans l’eau fraîche descendue de la montagne qui se rince les habits et le corps des pieds à la tête. Je vois le courant un peu puissant. Je me place sagement en aval. En même temps, dans l’ambiance de camaraderie débordante, personne ne se met en danger, et cette image, surtout, me frappe par sa beauté. Quelque chose rie du fond du cœur dans l’eau et la lumière.

Le temps a filé tellement vite. Récupérer un objet oublié derrière soi, chercher partout une chaussette égarée. Eh ! Pourquoi vous vous y prenez toujours à la dernière minute ? Allez, allez, on y va, on est déjà en retard ! La petite troupe remonte à toute allure, le temps, en route, de retourner des branches, d’observer des rhagi, et de capturer dans les haies des cétoines dorées.